Comprendre le cancer pour l’éviter et le vaincre

Si le nombre de cancers double dans les pays développés tous les 20 ans, ce qui est le cas en France, cette augmentation peut s’expliquer en partie par le vieillissement de la population et les progrès de techniques de dépistage. Avec 85% des cancers du sein, 75% des cancers du colon, ou encore 99% des cancers des testicules guéris, la France est le pays où l’on survit le plus longtemps après le diagnostic de cancer. Le Professeur David Khayat, chef du service d’oncologie à l’hôpital Pitié-Salpêtrière (Paris) fait le point sur la situation…
Le cancer en France, c’est un homme sur deux qui sera touché dans sa vie. Une femme sur trois. Il représente 385 000 nouveaux cas et 149 500 morts chaque année. Ce chiffre est tellement grand qu’il en perd toute sa signification. Est-ce davantage que les accidents de la route (4000 morts par an)? Est-ce moins que le sida (700 morts) ? Le cancer est la première cause de mortalité en France, loin devant toutes les autres. Chaque année dans le monde, il tue plus que le sida, la tuberculose et le paludisme réunis. Dans dix ans, en 2020, nous attendons 20 millions de nouveaux cas dans le monde qui entraîneront 10 millions de morts. En France toutes les 1’45, un nouveau cas de cancer est diagnostiqué. Et une personne en meurt environ toutes les 3 minutes. Toutes les heures, une femme meurt du cancer du sein.
Avec de tels chiffres, comment pouvez-vous parler d’espoir ?
Professeur David Khayat : La première raison qui nous permet de parler d’espoir est qu’aujourd’hui le cancer n’est plus une maladie mythologique, une sanction divine qui vient bouleverser la vie d’une personne. Le cancer est une maladie comme les autres, c’est-à-dire un disfonctionnement biologique. Dès lors que nous savons prononcer le nom de son ennemi, que nous osons le regarder en face, que nous avons appris son fonctionnement, nous sommes capables de nous battre contre lui et de remporter quelques victoires.
Alors, le cancer c’est quoi ?
Pr. D. Khayat : Un corps humain, comme toute chose qui vie, une plante, un arbre, un animal… est composé de cellules. Ces cellules sont des éléments, des petites briques qui, associées les unes aux autres, vont former nos organes. Et ces organes tous ensemble constituent un organisme.
Dans un corps humain, il y a un million de milliards de cellules regroupées, deux cents types de cellules différentes telles que celles du cœur, du foie, des poumons, du rein ou encore du cerveau. Chaque jour de votre vie, quand vous êtes adultes, vous produisez, vous perdez, vous produisez… environ 70 millions de nouvelles cellules. Comment pouvons-nous imaginer qu’un jour, une cellule sur ces 70 millions puisse naitre un petit peu anormale, un petit peu mal fabriquée? Que de ces anomalies, de ces défauts de fabrication risque d’apparaître des propriétés nouvelles, qui vont faire de cette cellule, le cancer ? C’est-à-dire la forme la plus redoutable, le fléau le plus important que l’humanité ait jamais connu et contre lequel elle n’a jamais été confronté.
Comment fonctionne une cellule ?
Pr. D. Khayat : Chaque cellule est dotée de fonction spécifique qui correspond à l’organe dont elle fait partie. Les cellules du rein épurent le sang et fabriquent de l’urine. Les cellules du cœur se contractent pour faire avancer le sang et provoquer la circulation sanguine. Les cellules du cerveau produisent des médiateurs, de l’électricité qui par le cheminement de ces médiateurs va permettre la pensée.
Au départ, c’est une sorte d’ordinateur, une boite et un écran. Mais comme il n’y a pas de logiciel à l’intérieur, elle ne fait rien. Si vous n’avez pas world, vous ne pouvez pas écrire de texte. Si vous n’avez pas Excel, vous ne pouvez pas non plus faire de tableau. Dans chacune des millions de milliards de cellules, il y a des logiciels. Ce sont eux qui vont conditionner la capacité de chacune de nos cellules à assurer une certaine fonction : battre pour la cellule du cœur, fabriquer de l’urine pour la cellule du rein, voir pour la cellule de la rétine.
Comment peut-il y avoir un logiciel à l’intérieur ?
Pr. D. Khayat : Ces logiciels s’appellent des gènes. Au lieu d’être écrit sur un disque dur ou une clé USB que l’on met dans son ordinateur, ils le sont sur un long filament nommé ADN, ou plus vulgairement chromosome. En s’associant entre elles, les quatre lettres (A, T, C, G) qui constituent le code génétique forment des mots. Mis bout à bout, ils construisent des phrases. Et les unes à côté des autres, ces dernières écrivent des logiciels, le processus que doit mettre en œuvre telle ou telle cellule pour assurer telle ou telle fonction. Elles écrivent ainsi dans l’espèce humaine 30 000 gènes.
Savez-vous quelle longueur mesure ce petit filament d’ADN que nous avons à l’intérieur de chacune de notre million de milliards de cellules ? Deux mètres. Et nous en avons deux : un de notre mère et le second de notre père. C’est dire la finesse et la fragilité. De la qualité de notre patrimoine génétique dépend la survie et la stabilité d’une espèce.
Qu’est-ce qu’une cellule cancéreuse ?
Pr. D. Khayat : A chaque instant, ces molécules chimiques se détachent, se recomposent, se réécrivent. Lorsque la cellule réactive son logiciel pour assurer sa fonction, comme un miracle il est toujours parfaitement bien écrit.
En réalité, il arrive parfois, pour des tas de raison, que certaines de ces lettres génétiques vont se déplacer et mal se repositionner au moment de la lecture du logiciel. Résultat, certaines cellules vont être inefficaces. Pas de soucis, d’autres vont prendre le relais. Parfois l’anomalie est tellement grave que la cellule n’est pas viable. C’est la nature.
Dans d’autres cas, l’anomalie ne va pas aboutir ni à la mort de la cellule ni à sa quiescence. Au contraire, grâce à cette mutation, elle va devenir meilleure, plus performante. Elle devient encore plus capable d’assurer sa descendance par rapport aux autres. Elle va se multiplier. Une cellule va en donner 2, 4, 8, 16, 32, 64, 128, 256… Les unes et les autres ne vont cesser de se multiplier à l’infini, de se regrouper pour constituer une tumeur. Dans une boule de 1 cm, il y aura ainsi 33 divisions pour passer de 1 à 1 milliard.
Qu’elle est la première raison d’espérer ?
Pr. D. Khayat : Je dirai qu’elle est aussi scientifique que médicale. Jusque dans les années 80-85, nous considérions le cancer comme une simple prolifération de cellules. Il suffisait d’enlever la tumeur pour que le patient guérisse. Malheureusement quelques temps après, elle réapparaissait dans un autre organe sous la forme de colonie cancéreuse à distance : des métastases.
Aujourd’hui, nous n’avons jamais aussi bien compris ce qu’est le cancer. Non seulement nous savons que la cellule cancéreuse a acquis la propriété de se multiplier à l’infini, mais nous en connaissons bien d’autres. Nous savons qu’elle se déplace d’un organe à un autre, l’envahit, le domine, lui vole le sang frais pour sa croissance et celle de ses filles. Puis n’ayant plus de place, elles creusent des tunnels dans les chairs pour arriver à se mouvoir jusqu’à un vaisseau et y font un trou afin d’entrer dans la circulation sanguine… Mieux encore, ces cellules cancéreuses ont acquis l’éternité alors qu’une cellule de notre corps a un temps de vie qui lui est donné génétiquement. Elle a une horloge à l’intérieur de son organisme. Cette découverte a valu le prix Nobel en médecine voilà un mois. Donc, à partir du moment où nous avons compris les processus mis en œuvre, nous sommes capables, nous aussi, de mettre en place des mécanismes (chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie) afin de nous opposer à tous ces subterfuges.
Les thérapies ciblées ont acquis une puissance extraordinaire parce que, pour la première fois, les médicaments sont intelligents étant donné que nous savons contre quoi nous avons à lutter. Et parce que nous avons fabriqué des médicaments intelligents, ils sont moins toxiques. Ils attaqueront moins les cellules normales. Par contre, ils vont reconnaître la cellule cancéreuse, l’atteindre, la faire vieillir, l’empêcher de se reproduire ou de se déplacer. Bref, de ce qui a jusque-là constitué un avantage pour la cellule cancéreuse, devient aujourd’hui pour nous un angle d’attaque spécifique.
La seconde raison d’espérer, c’est le plan cancer que nous avons mis en place.
Comment prévenir le cancer ?
Pr. D. Khayat : 30% d’entre eux sont dus au tabac. S’il n’y avait pas de tabagisme, il y aurait 70 000 morts de moins en France, dont 35 à 40 000 par cancer. La deuxième cause, ce sont les hormones. Malheureusement, là, vous ne pouvez pas y faire grand-chose. Ce sont les premiers cancers chez l’homme (cancer de la prostate) et la femme (cancer du sein). Les autres sont liés à l’alimentation (20%) et les virus (20%). Sans compter que nous avons pris la mauvaise habitude de mettre nos enfants au soleil… Il faut savoir que l’exposition brutale des enfants avant la puberté est susceptible d’augmenter le risque d’avoir plus tard, à l’âge adulte, un cancer redoutable : le mélanome malin. En 1935, il y avait un cas pour 1500 personnes. En 2000, c’est passé 1 cas pour 75 habitants. Sachant que ce cancer double tous les 10 ans, en 2040 le taux sera de 1 pour 5.
Donc, à l’échelon individuel, si nous prenons déjà de bonnes mesures : ne pas fumer, éviter de mettre les enfants au soleil, de manger sainement (au moins quatre fruits et légumes par jour), de boire modérément, de faire un minimum d’exercice physique… nous aurons déjà évité les risques majeurs.
By Clarisse
Enfin la fin du cancer? Interview du Professeur David Khayat sur CNews
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